Communiqué de presse "Jeux interdits" Galerie Malebranche mai 2015

C'est à Stuttgart, dans le cadre d'une résidence d'artiste, qu'Aurélie de Heinzelin approfondit sa connaissance des expressionnistes allemands et tout particulièrement d'Otto Dix. Cette séquence féconde donnera lieu à une exposition suivie d'une publication en forme d'hommage : « L'hiver Otto». De ces visionnaires aux yeux décillés par la Grande guerre - Dix mais aussi Bleyl, Beckmann, l'autrichienne Maria Lassnig... - elle retiendra l'audace dans la provocation, la palette décomplexée, le trait ferme, le goût pour la caricature et l'exploration des terra incognita refoulées de l'âme humaine.

 

Les pastels, les huiles et les fusains que nous présentons pour cette première exposition solo à Paris de la jeune artiste de la scène strasbourgeoise, s'inscrivent ainsi dans le cadre d'une longue recherche personnelle sur la face cachée de la conscience, une mise à nu introspective du théâtre obscur des rêves et des fantasmes.

 

Quand les surréalistes, grands défricheurs de l'inconscient, Hans Bellmer et plus récemment les frères Chapman, ont choisi des mannequins d'artistes ou de confection pour support de leurs projections, Aurélie de Heinzelin innove en remontant aux sources de la constitution de la psyché. C'est donc dans le monde de l'enfance que poupées et baigneurs, singes et pierrots se livrent aux ivresses initiatiques des jeux interdits dans la pénombre et le silence oppressants d'un grenier imaginaire, au milieu d'un chaos de trophées de chasse, de crânes transformés en pot de fleurs, de tissus surannés et de déguisements mités.

 

Saisies sous une lumière noire de night-club, flashées par des éclairs de train fantôme, les poupées découvrent les jeux des adultes avec tout le sérieux de l'innocence. On les observe pianoter sur la gamme infinie des variations d’Éros, du prélude de la cérémonie nuptiale au viol. Les tons froids deviennent chauds, le noir n'est jamais complet, et la mort est une extase en suspens dans les limbes, une petite musique de nuit : tout un art.

 

Tout comme Aurélie de Heinzelin part d'un fond noir pour poser sa lumière, elle sait, par le dynamisme des contrastes chromatiques, la fermeté des volumes, la volupté des drapés et la justesse des postures qui induisent irrésistiblement le mouvement, animer ce saisissant petit théâtre d'ombres et ces pantomimes, qui pourraient s'avérer scabreuses ou glaçantes, sont pourtant pleines de vie, d'humour et même de tendresse.

 

Mathieu Jan